Et si …
Et si au commencement était la joie et la joie était auprès de Dieu et la joie était Dieu. Elle était au commencement près de Dieu. Toutes choses ont été faites par elle et sans elle rien n’a été fait. Ce qui a été fait en elle était vie, et la vie était la lumière des hommes.
Permettez-moi cette petite incursion poétique dans ce grand texte …
Et si … Et s’il y avait une joie originelle qui a propulsé toute chose à la vie, à l’éclosion du monde, à l’homme debout, à créer un concerto de Mozart, à illuminer l’esprit, à ouvrir les cœurs, à bouleverser les étoiles, à tendre les mains et à dire je t’aime.
Et si … Et si la joie était une affaire d’âme, elle serait cette capacité d’anoblir l’existence en voyant en elle ce qu’il y a de plus beau, de plus élevé et de plus profond. Elle serait une manière de dire Dieu au plus profond de toute présence et de toute absence, de toute espérance et désespérance.
Au cœur de l’homme, elle se manifeste par l’émotion de la joie, par l’expression vive qui déploie de l’énergie, donne de l’enthousiasme, nous ouvre au partage, et donne la sensation d’être plus que vivant. Cette joie émotionnelle dépend principalement des événements extérieurs et ne dure pas. Nous devons accepter que cette joie ne peut pas être durable sous peine de céder à de vaines révoltes, d’inutiles chagrins et de pesantes nostalgies.
Cependant, même si elle s’en va, elle peut revenir continuellement et malgré tout. Cette joie bien qu’occasionnelle est un reflet et le désir de la joie plus profonde, la joie Essentielle, la Joie intérieure.
Dans le monde de l’oubli, de l’ignorance, et de la morosité, la joie nous est voilée jusqu’à nous faire perdre le goût et l’en-vie de celle-ci. Dans le monde des jugements, du sérieux, de la culpabilité, des interdits, être joyeux serait faire preuve d’indécence, d’illusion, de frivolité, de naïveté, ou de superficialité. Or, la joie est un chemin de haute connaissance et d’expérience, elle révèle notre vraie nature. Cela demande de la pratique et de l’attention pour demeurer sur ce chemin vivifiant… C’est un chemin de résistance éclairée face à la grande indifférence obscure.
La joie est le sourire de Dieu qui se pose un instant dans le monde… L’art de l’attention nous permet de répondre à ce sourire.
Plus que de parler de la joie, il faut lui ouvrir des espaces.
Dialogue avec la joie
Il est midi. C’est l’hiver, mon âme a froid. J’allume un feu et je dresse une table de fête. Pourtant, je n’attends personne.
Soudain, on frappe à la porte. Intriguée, je vais ouvrir.
La joie entre …
- « Oh quelle joie ! »
Fatiguée du voyage, elle s’assied près du feu.
- « D’où viens-tu ? », je lui demande.
Elle prend une grande respiration avant de me dire :
- « J’ai parcouru la terre, j’ai pénétré les souffrances, j’ai supporté les douleurs, j’ai côtoyé les lassitudes et les découragements, j’ai entendu les désespérances. J’ai trouvé peu d’endroits où poser ma tête.
- « Que fais-tu là ? », lui dis-je alors.
- « Je viens là où je suis Désirée ; là où les désolations, les frustrations, les tristesses, les désespoirs, les blessures, les défigurations s’ouvrent et m’appellent souvent par des cris silencieux. »
- « Pourquoi te fais-tu si rare ? »
- « Parce qu’on a oublié qui JE SUIS. »
Nous nous sourions.
- « J’ai soif, donne-moi à boire » me dit-elle alors que j’étais moi-même très assoiffée.
- « Qu’est-ce qui te dés-altère ? Je n’ai pas grand-chose à t’offrir. »
La joie éclate de rire.
- « Rien à m’offrir … Si tu connaissais le don … et qui je suis, moi qui te demande à boire… »
Elle reprend son souffle et dit :
- « Remplis donc cette coupe de GRATITUDE, qui, chaque jour, transforme les manques amers en plénitude savoureuse. Rien n’est dû, Rien ne nous est dû ; la nourriture ne nous est pas due, la beauté ne nous est pas due, l’amitié ne nous est pas due, l’amour ne nous est pas dû, le bonheur, la réussite, la santé ne nous sont pas dus, la vie ne nous est pas due… Prendre la mesure du rien c’est prendre la mesure du Tout Don. Puisque rien ne nous est dû, tout est Don ! »
- « Mais c’est merveilleux ! » je lui réponds, alors que sa coupe déborde et que se remplit une autre.
Mon cœur se dilate.
La joie éclate de rire, elle se saisit de la deuxième coupe, et dit :
- « Je m’abreuve aussi à la coupe de l’EMERVEILLEMENT qui transforme l’ignorance en reconnaissance et l’aveuglement en vision de l’admirable…. Enfin Voir et Reconnaître que tout ce qui pouvait ne pas être EST. Enfin voir que Tout est là, les arbres sont là, les montagnes sont là, les animaux sont là, les poètes sont là, le coquelicot est là, le papillon est là, l’amitié est là, l’amour est là, la paix est là, le feu est là, la vie est là ! »
Elle me prend dans ses bras et me dit :
- « Et toi, TU ES LÀ ! »
S’ouvre(nt) et se tissent(nt) alors entre nous le(s) fil(s) de la merveille.
Sans que je rajoute de buche, le feu se ravive. Mon cœur se dilate de plus belle.
- « Voilà de quoi se réjouir ! » je m’exclame, alors que sa coupe déborde et que se remplit une autre.
La joie éclate de rire, prend la troisième coupe, et poursuit :
- « Je me désaltère aussi à la coupe de l’ESPÉRANCE qui transforme le découragement en confiance. Espérer avec une confiance ardente ce qui va advenir. Passer de l’attente anxieuse qui rend las à cette tranquillité de l’âme habillée de foi. Ouvrir la porte au devenir. Ouvrir la porte à la fête et laisser les défaites au vestiaire ! »
Tout à coup, un courant d’air ouvre les fenêtres, le vent bondit, la lumière emplit la pièce, les flammes dansent, mon âme se réchauffe, les coupes se renversent et leur flot se déverse.
- « Je suis ivre ! Ivre du vin que je n’ai pas bu ! », je m’écrie.
En levant les coupes, j’exulte :
- « Je suis remplie de Gratitude, d’Emerveillement, d’Espérance joyeuse ! »
Je cours appeler des amis pour PARTAGER ce moment avec eux…
Je me retourne. Elle est partie. Un mot laissé près du feu :
Ne me cherche plus, JE SUIS EN TOI …
CHEZ TOI EST MA DEMEURE ….
Veille sur moi …
Le feu s’était éteint mais elle avait allumé une lampe dans ma maison, une qualité de lumière Autre …
Et dans la braise encore chaude brésille, comme un écho, l’incandescence de mon cœur.
Je souris.
JOIE EN NOUS, JOIE EN VOUS.
Marie Antoinette Cristiano
Image : Robert Delaunay – Rythme, joie de vivre – 1930, Musée national d’art monderne